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Giordino découvrit Pitt dans son hangar, affalé sur le siège arrière d’une longue décapotable, les pieds reposant sur la portière. Le petit Italo-Américain ne put s’empêcher d’admirer les lignes pures de la torpédo rouge. Construite en Italie en 1925, carrossée par Cesare Sala, l’Isotta-Fraschini était munie de larges pare-chocs échancrés, d’une capote repliée et d’un bouchon de radiateur en forme de cobra lové.

Pitt examinait un tableau noir installé sur un trépied à deux ou trois mètres de la voiture. Une carte marine y était accrochée à côté de notes inscrites à la craie qui semblaient constituer une liste de bateaux.

« Je sors du bureau de l’amiral, fit Giordino.

— Quelles sont les dernières nouvelles ?

— L’état-major interarmées a lancé ses propres forces dans la bataille. Aidées par les agents du F.B.I. et de la C.I.A. elles devraient avoir quadrillé tout le littoral d’ici à demain soir.

— Beaucoup de bruit pour rien, murmura Pitt.

— Pourquoi ce ton ironique ?

— C’est une sacrée perte de temps. La barge n’est pas là. »

Son adjoint lui lança un regard perplexe.

« Qu’est-ce que tu racontes ? Il faut bien qu’elle soit quelque part par là.

— Pas nécessairement.

— Tu veux dire qu’ils ne cherchent pas au bon endroit ?

— Si tu étais à la place des Bougainville, tu t’attendrais à une immense battue, non ?

— Elémentaire, mon cher Pitt, répondit Giordino avec un sourire. Personnellement, je serais plutôt enclin à dissimuler la barge au milieu d’un bosquet d’arbres ou d’un entrepôt maritime, ou encore à modifier son apparence pour la faire ressembler à un poulailler géant ou je ne sais quoi. Ce serait logique. »

Pitt éclata de rire.

« Ton histoire de poulailler me plaît beaucoup.

— Tu as une meilleure idée ? »

Le directeur des projets spéciaux s’extirpa de l’Isotta pour se diriger vers le tableau. Il replia la carte et installa à la place celle de la côte du golfe du Mexique.

« En l’occurrence oui, répondit-il en désignant une zone cerclée de rouge. La barge où sont détenus Margolin et Loren se trouve quelque part dans cette région. »

Giordino s’approcha pour étudier la carte, puis il leva les yeux pour considérer son ami avec cette expression qu’on réserve d’habitude aux fous et aux illuminés.

« La Nouvelle-Orléans ?

— En dessous de La Nouvelle-Orléans, corrigea Pitt. Je pense qu’elle est ancrée là.

— J’ai l’impression que tu as perdu la tête. Tu prétends que les Bougainville ont remorqué une barge depuis Charleston jusqu’à La Nouvelle-Orléans en contournant la Floride, soit près de 3 700 kilomètres, en moins de quatre jours ? Désolé, mon vieux, mais û aurait fallu un remorqueur à réaction et je ne crois pas que ça existe.

— Tout à fait d’accord. Mais suppose qu’ils aient gagné 1 000 kilomètres.

— Comment ? En lui mettant des roues pour lui faire traverser le pays ? lâcha son ami avec sarcasme.

— Je ne plaisante pas, répliqua Pitt très sérieusement. En empruntant le canal qui part de Jacksonville pour relier l’Atlantique au golfe du Mexique et qui vient d’être ouvert, on évite de contourner la Floride. »

Giordino sursauta. Il examina à nouveau la carte, vérifiant l’échelle et mesurant la distance entre Charleston et La Nouvelle-Orléans. Lorsqu’il se retourna, il affichait un sourire penaud.

« Ça colle, fit-il. (Puis son sourire s’effaça.) Mais qu’est-ce que ça prouve ?

— Les Bougainville doivent posséder dans le coin des docks et un terminal bien gardés où ils déchargent leurs cargaisons illégales. Probablement sur les rives du fleuve quelque part entre La Nouvelle-Orléans et la mer.

— Le delta du Mississippi ? fit Giordino avec stupéfaction. Où as-tu pêché ça ?

— Regarde, fit Pitt, désignant la liste des bateaux inscrite sur le tableau et lisant à haute voix. Le Pilottown, le Belle-Chasse, le Buras, le Venice, le Boothville, le Chalmette, ces bâtiments naviguent sous pavillons étrangers mais ils ont tous appartenu à un moment ou à un autre à la Bougainville Maritime.

— Je ne vois pas le rapport.

— Etudie bien la carte. Tous ces noms correspondent à ceux de villes disséminées le long du delta.

— Un code symbolique ?

— La seule et unique erreur des Bougainville. Utiliser un code pour désigner leurs opérations clandestines. »

Giordino se pencha sur le tableau.

« Nom de Dieu ! s’écria-t-il. Tu as raison.

— Je te parie mon Isotta-Fraschini contre ta Ford que c’est là que nous allons retrouver Loren.

— D’accord.

— Fonce au terminal aérien de la N.U.M.A. et réserve-nous un Lear. Pendant ce temps-là, je contacte l’amiral pour lui expliquer pourquoi nous nous envolons pour La Nouvelle-Orléans. »

Giordino se dirigea à grandes enjambées vers la porte.

« L’avion sera prêt à décoller quand tu arriveras », lança-t-il par-dessus son épaule.

Pitt grimpa quatre à quatre l’escalier menant à son appartement, Il jeta quelques vêtements dans un sac de voyage puis alla ouvrir une armoire vitrée d’où il tira une vieille mitraillette Colt Thompson et deux chargeurs à tambour qu’il rangea dans un étui à violon. Il décrocha ensuite son téléphone pour appeler Sandecker.

Il s’identifia auprès de la secrétaire particulière du directeur de la N.U.M.A. qui le lui passa aussitôt.

« Amiral ?

— Oui, Dirk ?

— Je crois savoir où est la barge.

— Où ?

— Dans le delta du Mississippi. Al et moi y partons tout de suite.

— Qu’est-ce qui vous fait croire qu’elle se trouve dans cette région ?

— Mi-intuition, mi-déduction. En tout cas, on n’a rien de mieux pour le moment. »

Sandecker marqua une hésitation avant de lancer d’une voix calme :

« Vous feriez bien d’y renoncer.

— Y renoncer ? Qu’est-ce que vous racontez ?

— Alan Moran a demandé qu’on abandonne les recherches. »

Pitt en resta abasourdi.

« Mais pourquoi ?

— Il affirme que c’est perdre du temps de même que l’argent des contribuables parce que Vince Margolin est mort.

— Moran est une ordure.

— Il a produit les vêtements que le vice-président portait la nuit de leur disparition pour appuyer ses dires.

— Il y a aussi Loren.

— Il prétend qu’elle est également morte. »

Pitt avait l’impression de s’enfoncer dans des sables mouvants.

« C’est un foutu menteur ! s’écria-t-il.

— Peut-être. Mais s’il a raison au sujet de Margolin, vous diffamez le prochain Président des Etats-Unis.

— Le jour où ce salopard prête serment, je renonce à ma citoyenneté américaine.

— Vous ne serez sans doute pas le seul, fit amèrement Sandecker. Mais vos sentiments personnels ne changent rien à l’affaire. »

Pitt était bien résolu à ne pas céder.

« Je vous appellerai de La Nouvelle-Orléans, déclara-t-il d’une voix décidée.

— J’espérais bien que vous réagiriez ainsi. Gardez le contact avec nous. Je ferai tout mon possible pour vous aider.

— Merci, vieux faux jeton.

— Des insultes à présent ! Magnez-vous et dites à Giordino de cesser de me piquer mes cigares. »

Pitt raccrocha avec un large sourire. Il finit de faire son sac et sortit rapidement du hangar. Trois minutes plus tard, son téléphone sonnait.

A trois cents kilomètres de là, le visage blême, Sal Casio attendait en vain que Pitt répondît.

 

Panique à la Maison-Blanche
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